Christoph Wachter / Mathias Jud
Zone*Interdite
La traversée 3D interactive animée du camp de prisonniers de Guantanamo fait partie d’une cartographie de grande ampleur des zones militaires interdites. Dès 1999, les deux artistes suisses Christoph Wachter et Mathias Jud ont commencé à mener des recherches, et une base de données accessible via une interface web a vu le jour en 2003. Le site Internet du projet de Wachter et Jud montre une carte du monde grise, constellée de points verts, qui représentent des zones interdites : des no man’s lands dont l’accès n’est pas permis aux personnes non autorisées.
Le public qui assiste à la traversée peut naviguer à travers la prison de Guantanamo et Guantanamo Bay sur un écran ou au moyen d’une projection grand format. Avant l’avènement d’Internet, ces territoires étaient représentés par des taches aveugles sur les cartes. Grâce à Internet et aux téléphones à caméras haute résolution, ces lieux peuvent désormais être cartographiés. Il est cependant nécessaire pour cela de mener des recherches d’images intensives sur le web et d’analyser les résultats de façon déductive. Les artistes suisses se sont consacrés à ce travail de fourmi pour deux de ces zones interdites : ils ont collecté et analysé toutes les images en lien avec ces lieux accessibles sur Internet. En plus de Guantanamo, ils sont parvenus à reconstituer en 3D un camp d’entraînement islamique au Soudan. Ils ont pour cela consulté des sites de vétérans, des blogs de soldats et des rapports officiels, puis ont assemblé les innombrables fragments pour obtenir un tableau complet, permettant de se forger une opinion libre. Les univers visuels représentent quant à eux des reconstitutions de « taches aveugles » à partir des images analysées et sont donc aussi bien fictifs que fidèles à la réalité. Ils permettent, pour la première fois, de se faire sa propre image des zones interdites. Wachter et Jud ont suscité un fort émoi à l’échelle mondiale en localisant ainsi une prison pour enfants dans un ancien bâtiment d’officiers de Guantanamo Bay, dont l’existence n’avait jusqu’alors jamais été confirmée, et en reconstituant son envergure.
À travers leur travail, Wachter et Jud surveillent quasiment les organes de contrôle, les militaires, les États et les services secrets. Chaque image que nous publions sur Internet permet à ces institutions de nous surveiller et de surveiller les autres, nous rendant ainsi entièrement transparent·es à leurs yeux. Ces travaux soulignent le fait que même les zones militaires interdites ne sont pas entièrement à l’abri de cela. Internet permet à la fois de faire la lumière sur des faits tenus secrets et de commettre des abus. Il se tient au service de celles et ceux qui l’utilisent, c’est-à-dire, l’humanité toute entière. Wachter et Jud contribuent à en faire une utilisation favorable à la démocratie et à la formation de la libre opinion.
(Texte : Bettina Back)