Alfatih
Si signifier une absence est possible, Alfatih incarne sans aucun doute une figure remarquablement insaisissable dans la scène suisse de l'art médiatique, ou dans toute autre « scène » d'ailleurs. Les informations biographiques et les déclarations de l'artiste sont volontairement réduites au minimum, témoignant d'un refus doux mais obstiné de se conformer, reflétant ainsi sa perception des technologies numériques contemporaines.
Émergeant de – ou se dissolvant dans – des environnements apparemment banals et des accessoires de la vie quotidienne, les œuvres d’Alfatih nous mènent à des personnages que nous considérons comme préverbaux, des figures humaines à un stade précoce de liberté et de dépendance. Laissant le spectateur entre des miroirs doubles ou face à des ustensiles domestiques symbolisant une civilisation de contrôle, Alfatih plonge le public dans un état ambivalent vis-à-vis de ces êtres potentiellement innocents. Nous sommes à la fois en position d’exercer le contrôle susmentionné et de nous soumettre aux premières oscillations d’un récit sans auteur humain apparent.
A Day in the Life, un film d'animation en CGI commandé qui montre une journée dans la vie d’un « bébé adulte », a constitué la première exposition individuelle d’Alfatih aux États-Unis, au Swiss Institute de New York en 2023. Dans cette œuvre, un récit de 24 heures scénarisé par une IA se déploie, guidé par les prompts de l’artiste et accompagné par la musique du théoricien Tapiwa Svosve. Au fil de la journée, alors que le bébé accomplit des rituels adultes marqués par des horodatages et semble chercher l'approbation de ses montres, une mélancolie silencieuse d’une vie solitaire et répétitive imprègne subtilement le tissu du temps et du langage.
Dans A Way Out of Time (2024), présenté dans le cadre de l’édition 2024 de la Biennale de l’Image en Mouvement au Centre d’art contemporain de Genève, les visiteurs prennent les rênes d’une poussette de style victorien et, par implication, de l’enfant qu’elle est censée transporter. Cependant, les déplacements sur le sol de la galerie et dans le paysage institutionnel n’activent qu’un récit artificiel en temps réel, une dérive aidée par ChatGPT à travers un paysage désolé généré par l’IA. Alors que le mouvement rituel est imposé à la machine, les spectateurs poussent cette progéniture artificielle et l’aident à « combler le vide avec des souvenirs artificiels » (Alice Bucknell dans Mousse, février 2024).