Jürg Lehni
Four Transitions
L’installation Four Transitions, créée en 2020 par l’artiste suisse interdisciplinaire Jürg Lehni, est composée de quatre boîtes-présentoirs fixées à une paroi. Sur chacune d’elles apparaît un chiffre en formation, caractérisé par des couleurs et des techniques différentes.
L’univers des nouveaux médias et de l’art d’Internet est axé sur une conception ouverte des œuvres et sur le rapport qu’entretiennent les structures artistiques animées avec leurs destinataires. L’aspect performatif de l’œuvre est par conséquent de plus en plus prépondérant, soulevant la question « Comment représente-t-on ? ». Depuis l’époque postmoderne, l’aspect sémiotique de l’œuvre (« Que représente-t-on ? »), est traité de façon de plus en plus directe ou si universelle et globale qu’il n’est pas véritablement capable de rendre justice à l’œuvre.
Dans le cas de Four Transitions, la réponse à la question « Quoi ? » est relativement évidente : ensemble, les quatre écrans forment l’affichage d’une horloge numérique en temps réel. La profondeur de l’œuvre se déploie d’autant plus nettement lorsque cette simplicité de l’aspect sémiotique est opposée à la complexité multidimensionnelle de sa performativité.
Les boîtes noires, de dimensions quasiment identiques, ont été fabriquées spécifiquement pour les dispositifs techniques qu’elles abritent. Si on les observe de gauche à droite, ces derniers représentent un montage diachronique de l’évolution des techniques d’affichage dans l’espace public depuis les années 1950. Chaque boîte contient un micro-ordinateur et communique avec les autres. L’une d’elles est connectée à Internet, afin de pouvoir se synchroniser avec l’heure du lieu d’exposition. Tous les écrans calculent leur affichage en temps réel, chaque chiffre étant reconstitué une fois par minute. Il en résulte une interaction des quatre écrans en transformation quasi constante et en temps réel. Outre la superposition de l’heure actuelle et de l’historicité des technologies, c’est en cela que réside l’aspect autoréflexif de l’œuvre : le rapprochement de la durée de l’œuvre et du temps de passage de ses destinataires.
Le premier chiffre est représenté grâce à la technique des girouettes à pastilles noires et blanches, datant du début des années 1960. La rotation des plaquettes mates qui constituent le motif de points en noir et blanc est assurée par un dispositif électromagnétique. Les cliquetis caractéristiques, que la plupart d’entre nous associent aux panneaux d’affichage des gares et des aéroports, accompagnent le chiffre un, qui apparaît et disparaît sans cesse. Le deuxième chiffre est constitué du quadrillage violet, bleu et blanc caractéristique des écrans à cristaux liquides (LCD). Ces rectangles aux angles arrondis nous accompagnent dans les ascenseurs depuis les années 1970-80. Les contours des chiffres sont nettement définis par le quadrillage.
Le premier chiffre des minutes est indiqué par une grille de points LED de première génération. Chaque point est composé d’une petite lampe rouge, verte et bleue pouvant être contrôlée séparément et permettant de réaliser des transitions colorées Op Art lors de l’apparition des chiffres. Les panneaux LED grand format ont commencé à peupler l’espace public à l’arrivée du nouveau millénaire. Le dynamisme de l’interaction changeante des couleurs primaires contraste avec les panneaux monochromes des chiffres de l’heure.
Enfin, le deuxième chiffre des minutes repose sur la technologie actuelle d’un écran à transistor en couches minces (TFT), contrôlé par une carte graphique à accélération matérielle. De nouveaux formats de ce dispositif lui-même sont cependant déjà disponibles sur le marché. Ce changement de chiffre à une cadence minutée est celui qui s’effectue le plus en douceur, de manière quasi continue. Les contours sont doux, dépourvus de pixels visibles, les couleurs se fondent de l’une à l’autre dans un style pictural.
L’artiste reporte directement sur notre perception son approche intensive, préalable à l’œuvre, des qualités esthétiques spécifiques aux différentes technologies et résultant de collaborations extérieures avec des spécialistes. Son travail sur ces supports a exploité ou découvert des éléments du langage figuratif volontaires ou fortuits, tels que la transition douce entre opacité et transparence des cristaux liquides.
Four Transitions permet au public d’appréhender par les sens les qualités esthétiques des technologies : l’effet domino réduit et hypnotisant du panneau de girouettes à pastilles, les transitions échelonnées de la grille lumineuse caractéristique de l’écran LCD, le dynamisme et la rapidité des changements de couleurs primaires de la grille LCD et, enfin, le fondu attrayant de la programmation TFT. Four Transitions incarne la présence sensorielle et, pour certaines personnes, émotionnelle de ces quatre technologies historiques. L’esthétique unique qui émane naturellement des caractéristiques des technologies s’appréhende de façon directe et en temps réel.
L’œuvre Four Transitions est basée sur un concept mis au point par l’artiste en 2014, en collaboration avec Alex Rich.
Texte : Bettina Back